L’étirement quotidien des embouteillages matinaux qui prennent chaque année quelques centaines de mètres supplémentaires nous incite à consacrer beaucoup d’articles au problème des transports en commun. Il en va de la fatigue des habitants, de leur capacité à se sentir bien dans leur travail après des réveils même plus aux aurores, mais nocturnes, et du risque d’accident de la circulation par perte de vigilance, etc.
Quels investissements dans les transports, comment les financer, où en est le Conseil départemental, autorité organisatrice des transports aux côtés des quatre communautés de communes et d’agglomération qui en ont la compétence ?
Une réunion s’est tenue le 13 mars 2024 à Bordeaux, et fait écho à ces préoccupations, Mayotte pourrait en tirer parti. Ce jour-là, 200 acteurs étaient présents à l’invitation du GART, Groupement des autorités responsables de transport, pour un colloque sur les enjeux stratégiques et de gouvernance au service de l’intermodalité. Ils portaient sur les services express régionaux, qui ne concernent donc pas Mayotte, mais la problématique, si.
Car les questions qui sont posées sont les mêmes que nous avons mentionnées ci-dessus : « Quel modèle économique des autorités organisatrices de la mobilité ? », c’est-à-dire à Mayotte, les communautés d’agglomération et de communes, « demandent à l’État d’assumer son obligation de moyens pour dégager des financements à la hauteur des ambitions », etc.
Autant dire que vu les difficultés financières ici pour faire tourner nos premiers services de transport en commun, Caribus pour l’instant, bientôt les navettes maritimes, on peut s’inspirer des réponses qui seront apportées là-haut à Paris, et c’est Mohamed Hamissi, notre expert mobilité mahorais qui nous le dit : « Lors de ce colloque, ils ont parlé de la problématique de la gouvernance et de qui finance quoi, les mêmes interrogations qui nous freinent. »
Ça pourrait couler de source
Il rappelle que le panel des contributeurs au transport en commun est maigre à Mayotte, « avec 77% de taux de pauvreté et 34% de chômage, c’est compliqué de rentabiliser un service. Celles qui vont payer, et qui paient déjà, ce sont les entreprises de plus de 11 salariés sur une taxe appelée ‘versement mobilité’. Mais elles ont déjà subi la crise de l’eau, la crise sociale, elles portent déjà l’économie, on ne peut pas leur demander de prendre en charge des services déficitaires ». D’autant que les 7 millions d’euros payés actuellement par les entreprises sur le versement mobilité, qui font tourner les navettes de la CADEMA doivent également financer les investissements.
Il fait un parallèle avec l’eau. « Si on part du principe que le transport public est un droit pour les Mahorais, comme l’accès à l’eau, on pourrait demander un accompagnement de l’Etat comme Elisabeth Borne l’a fait lors de la prise en charge du paiement des factures d’eau. Cela pourrait rassurer les autorités de transport que sont les communautés d’agglomération ou de communes du Nord, du Centre et du Sud (Petite-Terre n’a pas récupéré cette compétence) qui ont des capacités financières moindres que la CADEMA, « elle n’ont pas de centre d’affaire où de pôle économique comparable pour financer ».
Seulement voilà, pour que l’Etat se penche sur nos bus et nos navettes maritimes, il faudrait prouver notre capacité à consommer, « l’Etat peut répondre qu’en matière de PGTD, c’est-à-dire le Plan Global Transports et Déplacements de Mayotte, il ne se passe rien. Si nous n’avançons pas sur les grands projets de transport en commun inscrits à ce plan, nous aurons du mal à demander un accompagnement ».
De nouvelles taxes ou une loi ?
En résumé et au regard des interrogations qui se posent en métropole lors de ce colloque, Mohamed Hamissi met en perspective, « si là-haut ils soulignent ces problématiques alors qu’ils ont davantage de moyens, et des populations qui peuvent payer leurs billets, on peut se demander comment nous, nous allons nous en sortir ! ».
Où trouver des finances ? Une question dont les acteurs en charge de donner des réponses doivent se saisir : « Faut-il mettre en place de nouvelles taxes ? Augmenter le versement mobilité des entreprises ? Faut-il un texte pour appuyer tout cela ? » La loi urgence pour Mayotte pourrait s’en faire l’écho, « on peut par exemple solliciter Sacha Houllier actuellement sur le territoire à ce sujet », invite-t-il, en parlant du président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale.
Avoir recours à la loi urgence car « ça urge », « la circulation alternée montre déjà ses limites, il y a encore trop d’embouteillages. » La faute selon lui à la lenteur avec laquelle on monte les projets, « la Chambre régionale des Comptes constate qu’il n’y a pas d’investissement, seulement des études. Quand les habitants s’aperçoivent qu’il n’y a pas de transport en commun, ils achètent des voitures. Et encore, on ne compte que 28% des ménages véhiculés à Mayotte, ça laisse craindre le pire dans l’avenir. Et tout ça sur une seule route ! »
Alors pour lui, ces questionnements nationaux sont une chance, « on peut encore envisager de mettre en place une offre multimodale ultramoderne ici, mais nos parlementaires doivent se saisir de la réflexion que doivent se poser les collectivités. Faut-il une nouvelle loi ou peut-on bénéficier de celles qui existent déjà ? Peut-être faut-il aussi créer un outil avec une gouvernance partagée qui permette de créer un nouvel équilibre financier. Il y a urgence car nous allons perdre la confiance de nos partenaires si nous ne consommons pas. Doit-on calquer l’organisation de la société de Grands Projets mise en place pour le Grand Paris ? C’est un vrai sujet politique. »
Anne Perzo-Lafond