« Fikira » est une association créée en 2011 dont le but est d’échanger, de partager des réflexions autour de la santé mentale à Mayotte, dans la région Océan Indien et ailleurs…Au fil du temps, l’association a élargi son champ de réflexion aux domaines de la santé, de l’éducation et du médico-social. Véronique Méloche a tout d’abord fait un état des lieux sur la réalité de la violence et de la délinquance juvénile aujourd’hui à Mayotte, puis elle a proposé par la suite des pistes pour arriver à son éradication, et ce en dépit d’une population très jeune sur notre territoire
Une jeunesse surnuméraire
C’est à la fois l’atout et le problème de notre territoire, une jeunesse nombreuse (50% des habitants ont moins de 18 ans) et très jeune, souvent dans la précarité et sans diplômes. « C’est une précarité à la fois scolaire, économique et juridique. Cette jeunesse surnuméraire ne bénéficie pas de régularisation, ni d’expulsion, ce qui favorise les comportements déviants. Beaucoup de jeunes ne sont pas scolarisés ou quand ils le sont et qu’ils arrivent à la fin de celle-ci, ils sont désœuvrés car ils n’ont pas de perspectives d’avenir. Que faire de cette jeunesse ? », s’interroge la professeure de philosophie, alors que c’est justement quand on est jeune que l’on est le plus tenté, influencé, par la violence.
Véronique Méloche pointe entre autres le rôle de certains parents. « Les adultes ne prennent pas en charge cette jeunesse… Comment s’en occupent-ils ? Il y a des dysfonctionnements ». Pour elle, la réponse à cette délinquance juvénile est tout sauf sécuritaire et punitive. « Je ne pense pas que la construction d’une prison pour mineurs arrangera les choses. La solution passera, à mon sens, par des mesures de prévention et d’éducation. Il faut une autre approche que celles sécuritaire et punitive pour cette jeunesse. Comment l’accompagner pour éviter qu’elle ne tombe dans la délinquance et qu’elle ne se sente abandonnée ? ».
« Faire de l’adolescent un sujet à part entière »
Chez l’adolescent le passage à l’acte est inconscient, il est refoulé, selon la psychologue clinicienne, d’où l’importance du principe de réalité. « Il faut faire de l’adolescent un sujet à part entière. C’est-à-dire comprendre ce qui motive ses passages à l’acte et s’attaquer aux causes des symptômes. A Mayotte il y a différents problèmes sociaux ce qui engendrent mécaniquement des carences. La délinquance est le résultat d’une souffrance qui doit être prise en charge et être réparée ». Pour Véronique Méloche, cette carence génère une insatisfaction qu’il convient de combler. « Il faut aller à la rencontre du sujet délinquant pour dénouer le problème et voir quelle carence il a. Le rôle de l’éducateur est alors primordial puisqu’il permet de repérer et d’identifier cette carence qui peut être affective. Aussi, souvent elle génère de la précarité et un trauma. Il convient donc de travailler sur le traumatisme à l’origine de la délinquance ainsi que sur la carence pour la repérer et ainsi être efficace ».
Éradiquer la carence permettrait d’éradiquer la violence, selon l’agrégée de philosophie. La sanction et la répression auraient des effets contraires, contre-productifs, elles ne feraient qu’aggraver les choses sans régler le problème. Elle en veut pour preuve que depuis 20 ans, la délinquance juvénile n’a cessé d’augmenter. « La répression et les sanctions n’ont pas diminué la violence à Mayotte. Pour sortir de cette logique répressive, qui ne marche pas, cela doit passer par des choix politiques, par des investissements de l’État dans la jeunesse, de la protéger, tout en offrant un apport éducatif essentiel à son accompagnement ».
B.J