La direction de notre journal était attaquée en diffamation en octobre 2023 par Jacques-Martial Henry, ancien élu et chargé de mission de Mayotte Channel Gateway (MCG), gestionnaire du port. En cause, un compte-rendu que nous avions rédigé le 7 juillet 2023 de l’arrêt de la Cour de cassation annulant la décision de relaxe du délit de prise illégale d’intérêt prononcée en faveur de l’élu et de la présidente de MCG par la Chambre d’appel de Mamoudzou.
L’audience de diffamation se tenait ce mardi 19 mars 2024 et impose de revenir sur les faits. En 2017, les mêmes plaignants perdaient leur procès en diffamation contre TV Mafoumbouni, un média satirique en ligne, qui les avait caricaturés. Leur avocat en profitait pour soulever une possible prise illégale d’intérêt de Jacques-Martial Henry. Ce dernier ayant été recruté par MCG en avril 2016, soit un an après la fin de son mandat de vice-président du conseil départemental qui l’avait amené à participer en tant qu’élu aux votes ayant mené à l’attribution de la Délégation de Service Public (DSP) du port de Longoni à la société présidée par Ida Nel en avril 2015.
Le procureur décidait d’ouvrir une enquête, qui menait à un premier procès, en octobre 2018, ouvert sur un débat juridique. Depuis la loi d’octobre 2013, un élu titulaire d’une fonction exécutive doit attendre trois ans entre la fin de son mandat et le recrutement dans une société pour laquelle il est intervenu en tant qu’élu, notamment pour en assurer la surveillance ou la gestion, ou pour conclure un contrat ou donner un avis. Un délit communément nommé « pantouflage ». Selon l’avocat de l’élu, Me Jorion, la loi est postérieure au vote et son client n’aurait pas été élu « à un poste exécutif ». Le tribunal lui donnait raison et relaxait les deux prévenus. Malgré la poursuite de l’action publique en appel, la Chambre de cette juridiction décidait également de leur non culpabilité.
Saisie par le parquet, la Cour de cassation revenait le 11 mai 2022 sur la motivation de la décision de la Cour d’appel, constatant que « M. Henry a été en sa qualité de vice-président du conseil départemental, en charge d’une fonction exécutive locale dans le cadre de laquelle il a été chargé de formuler un avis sur les contrats de toute nature avec la société MCG, entreprise privée bénéficiaire d’une délégation de service public. La cassation est par conséquent encourue de ce chef ».
Une signification au parquet hors délai ?
Nous avions relaté les faits en expliquant que lors des deux premiers procès, l’élu « n’avait pas été coupable de pantouflage, c’est-à-dire d’avoir monnayé des votes favorables à la présidente de MCG ». C’est semble-t-il le terme de monnayage qui a convaincu l’élu de déposer plainte contre le journal.
Mais ce n’est pas ce sujet qui occupait le début d’audience ce mardi, plutôt les causes de nullité, développées par l’avocate du JDM, Me Christine Sournies. Il s’agissait d’énumérer ce qu’elle jugeait être des « irrégularités dans la procédure » : une erreur de date sur la convocation à la première audience, un flou dans l’exposé des faits reprochés, et surtout, une signification au parquet hors délai. Il s’agit par cet écrit, d’interrompre la prescription sous trois mois après la parution de l’article incriminé. Cette signification au parquet devait avoir été déposée avant la date de l’audience de consignation du 28 novembre, or elle ne l’a été que vendredi dernier, le 15 mars 2024. « C’est une cause de nullité de la procédure », plaidait l’avocate. Me Jorion répliquait sur les premiers arguments, que la mention exacte du jour de la semaine, en l’occurrence mercredi à la place du mardi, « n’est pas utile, tout le monde sait que les audiences correctionnelles se tiennent le mardi à Mayotte ». Sa consœur avait anticipé en indiquant qu’elles se tiennent bien sur les deux jours.
Sur le point majeur de la signification de la citation au parquet hors délai, le conseil de J.-M. Henry répliquait uniquement qu’elle avait été faite le 15 mars, considérant que la date de cette signification était satisfaisante pour avoir été faite « dans le délai de 3 mois ».
Après consultation de ses assesseurs, la présidente Catherine Vannier décidait de poursuivre l’audience pour entendre les parties au fond, c’est-à-dire sur le bien-fondé de l’action en diffamation.
Chacune des parties développait ses arguments, sur lesquels nous ne reviendrons pas en détail au risque de subjectivité, mais que nous pouvons résumer en quelques mots : Jacques-Martial Henry s’estime atteint dans son honneur, « l’expression monnayer des votes sous-entend contre de l’argent », quand il s’agit pour la défense « d’une contrepartie » par l’embauche de l’ancien élu, estimant n’avoir qu’illustré les règles du délit de prise illégale d’intérêt rappelées par l’arrêt de la Cour de cassation.
Le délibéré sera rendu le 30 avril 2024.
La rédaction