La Délégation outre-mer du Sénat s’est rendu le mois dernier dans l’océan Indien, mais n’ont pas pu se rendre à Mayotte en raison des blocages du mouvement social, « ce n’est que repoussé à dans quelques mois », rassurait Micheline Jacques, la présidente e la Délégation et sénatrice de Saint-Barthelemy, qui disait se réjouir « de la signature de la Convention de coopération de Mayotte avec l’Etat ». Néanmoins, et vu les tensions qu’a connu le territoire, un espace était consacré à la situation sur le 101ème département ce mardi soir.
Une situation sur laquelle Micheline Jacques invitait Mohamadi Madi Ousseni, maire de Chiconi, à s’exprimer « sur les attentes pour Mayotte dans les mois à venir ». Étonnamment, ce dernier décrivait sobrement une « situation compliquée », sans profiter de cette tribune pour évoquer les raisons de la crise, ni les attentes des élus. C’est le sénateur Thani Mohamed Soilihi qui s’y est employé, et prenait le relais au débotté.
Il comparait cette nouvelle crise à un incendie, que l’on pense avoir éteint, « mais en réalité, le feu est toujours en train de couver, et si on ne s’attaque pas aux maux, les prochaines crises seront plus graves. Pour cela il faut le bon diagnostic ».
Il alertait sur le risque de passer à côté : « Pendant deux décennies, on ne s’est pas occupé des jeunes de ce département. Quand on parle de maison de redressement, ça choque en métropole, mais il faut trouver des solutions pour rattraper des années de défaut d’éducation (…) Des propositions sont faites, qui visent l’avenir. Mais que fait-on de tous ceux qui sont actuellement sur le territoire, qui ont obtenu la nationalité française, et qui commettent des méfaits. »
Exportation de la délinquance à La Réunion
Le sénateur revenait sur la polémique née des propos de Jean-Hugues Ratenon, député LFI Réunionnais, qui alertait sur une délinquance importée sur son département depuis Mayotte. « On entend ce qu’il dit. Etant donné l’absence de Centre Éducatif fermé à Mayotte, les jeunes sont envoyés à La Réunion, et quand ils sortent, ils partent dans la nature ». Il appelait donc à la construction rapide de ce CEF à Mayotte, « et si on veut éviter que des familles entières partent à La Réunion, appliquons les mêmes droits sociaux à Mayotte. Dans les semaines à venir, la problématique de la convergence des droits sociaux ne pourra plus être ajournée », indiquait-il. Possiblement en référence au projet de loi Mayotte, que l’on espère en cours d’écriture.
Après avoir réclamé depuis plusieurs mois un « changement de doctrine » chez les forces de l’ordre qui l’ont amené à rencontrer le directeur général de la gendarmerie nationale et son équivalent à la Police nationale, Thani Mohamed Soilihi disait sa satisfaction de constater l’application par le nouveau préfet François-Xavier Bieuville de « méthodes nouvelles », « ils vont dénicher les délinquants là où ils se cachent pour préparer leurs méfaits. C’est ce que nous demandions. » Il évoque un contexte où les habitants, dont les élèves, « partent la peur au ventre, ils risquent leur vie ».
L’heure est actuellement à la mise en place de solutions à Mayotte, est à l’analyse de leur fonctionnement. De son côté, le sénateur mahorais a des propositions, mais là encore, conditionnées aux moyens : « J’ai demandé de développer les actions des Missions locales auprès des jeunes sans emploi. Mais elles n’ont pas les mêmes droits que leurs consœurs nationales, alors que la moitié de la population a moins de 17,5 ans. Il manque aussi d’infrastructure sportives, nous sommes le département le moins bien loti. » Il concluait en remerciant la Délégation outre-mer du Sénat d’avoir libéré ce temps d’échanges, « et alors que vous n’avez même pas pu venir sur place ! »
Pour Micheline Jacques, la préparation du projet de loi Mayotte qui doit être présenté le 22 mai en conseil des ministres doit être l’occasion pour, d’ici là, « récolter des partages d’expériences des autres territoires sur la délinquance. »
« Procès à charge »
Les sénateurs et maires ultramarins ont également échangé pendant plus d’une heure sur la réforme de l’octroi de mer, à la suite de la publication « L’octroi de mer à la croisée des chemins », par la Cour des Comptes, qui préconise notamment de décliner la TVA, notamment à Mayotte, en réduisant, puis annulant, les taux d’octroi de mer.
De manière unanime, les représentants des maires de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion ont dénoncé la volonté du gouvernement d’une refonte de l’octroi de mer en 2025 et sans concertation. Ce rejet fait écho à celui déjà exprimé par les cinq collectivités à compétence régionale lors de leur audition le 14 février dernier par la commission des Finances du Sénat.
Deux lignes rouges ont été tracées : ne pas retirer aux territoires un outil fiscal garant de l’autonomie de gestion et des libertés locales et préserver un instrument de protection de la production locale. Les élus ont aussi dénoncé une forme de « procès à charge », notamment dans le dernier rapport de la Cour des comptes, et un « calendrier à marche forcée ». Et jugent que le projet de loi de finances pour 2025 ne peut être le bon véhicule législatif pour proposer un nouveau modèle fiscal.
En revanche, de nombreux axes d’amélioration sont proposés par les élus : révision de l’assiette, simplification des taux et des exonérations, transparence sur la formation des prix, transmission des données des douanes…
Micheline Jacques, Georges Patient (Guyane), Victorin Lurel (Guadeloupe), Annick Girardin (St Pierre et Miquelon), Audrey Bélim (La Réunion), Viviane Malet(La Réunion) et Thani Mohamed Soilihi, ont appelé à une véritable discussion avec les élus locaux, reposant sur une étude d’impact solide, « pour avancer vers plus d’efficacité et de lisibilité, ainsi que la prise en compte des singularités de chaque territoire ».
Anne Perzo-Lafond