Encore un domaine où les populations ultramarines réclament la convergence avec la métropole. On se souvient de la campagne menée par Victorin Lurel, sénateur de Guadeloupe en 2013 contre les taux de sucre bien supérieur en Outre-mer qu’en Hexagone. Il avait donné son nom à une loi cette année-là, qui garantissait le respect d’un taux de sucre identique sur l’ensemble du pays.
Alors que le Programme national nutrition santé 2019-2023 arrive à son terme en ce début d’année 2024, dix députés ultramarins, dont Estelle Youssoufa, et un député girondin, demandent des comptes au ministre délégué à la Santé Frédéric Valletoux, « nous constatons que les habitants des régions d’outre-mer demeurent surexposés à des aliments comportant des teneurs en sucre supérieures à la moyenne nationale. »
C’est que l’enjeu de santé publique est majeur. Alors que le diabète concerne 6,13% de la population à l’échelle nationale, ce taux atteint 10,5% de la population en Martinique, alors qu’à Mayotte, 47% des femmes entre 30 et 69 ans sont obèses, donc vulnérables au diabète. On sait que ces deux fléaux sont facteurs de co-morbidité, notamment lors des épidémies, on l’a vu avec le Covid.
Au mois d’avril 2023, une question écrite « transpartisane » a été posée sur les mesures que le ministère envisage de mettre en œuvre afin d’assurer la bonne application de la loi Lurel. « Pas d’inquiétude », rapporte en substance la réponse du ministère qui renvoie à l’enquête menée en 2021 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) « qui conclut au respect et à la bonne connaissance de la loi Lurel par les professionnels, sans non-conformité détectée pour des boissons vendues à la fois en métropole et dans les Outre-Mer ». Une étude jugée « incomplète » et « non exhaustive », car étudiant essentiellement les taux de sucre de 50 boissons rafraîchissantes sans alcool.
Manque de contrôle
Une autre expertise collective pilotée par la DGOM en janvier 2021 a abouti à la publication d’un volet « Outre-mer » du Programme national nutrition santé 2019-2023 (PNNS 4) en septembre 2022 qui dresse un « bilan plus mitigé » de l’application de la loi Lurel, rapportant que « Certains acteurs de terrain estiment que les dispositions législatives ne peuvent pas être traduites de manière opérationnelle. Ils déplorent également leur manque de contrôle ».
3ème contrôle de l’effectivité de la loi, un rapport d’information du Sénat sur la lutte contre l’obésité et publié 29 juin 2022 a également conclu « que les mécanismes retenus par la loi ne sont pas pleinement opérants », mettant en avant « la difficulté pour les petits producteurs locaux à connaître les teneurs en sucre dans l’Hexagone pour s’y conformer et une imprécision de la notion de ‘denrées alimentaires assimilables de la même famille’ ». Ce rapport déplore un manque d’informations quant à l’ampleur des reformulations mis en place par les producteurs pour adapter leurs produits à la législation.
Enfin, le volet « Outre-mer » du PNNS4 prévoit également la mise en place d’un groupe de travail pour analyser le bilan de la Loi Lurel et proposer des actions visant à améliorer la qualité de l’offre alimentaire en Outre-mer et recommandait de réaliser « des prélèvements aléatoires sur certains jus vendus dans le commerce afin d’établir la teneur en sucres de ces produits ». Une enquête dont les résultats sont demandés par les parlementaires.
On voit que plusieurs tentatives de contrôle de l’effectivité de la loi ont malgré tout été menées, mais que les résultats semblent laisser les députés sur leur faim.
De son côté, le ministère annonce renforcer le déploiement du Nutri-Score auprès des opérateurs locaux et développer les accords collectifs dans lesquels les filières peuvent s’engager sur une diminution significative des teneurs en sucre. Rien d’obligatoire, un engagement volontaire « qui ne saurait représenter une réponse suffisante aux inégalités de santé et de qualité de l’alimentation qui impactent durement les habitants des régions d’outre-mer. »
Les outre-mer seront naturellement intégrés dans la future Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat, les députés se disent vigilants sur la qualité du travail mené.
A.P-L.